WolfsnapeMessages : 17 Date d'inscription : 27/07/2015 Age : 27 Localisation : Quelque part entre un livre et un monde imaginaire ! ♥
| Mer 29 Juil - 18:34 | | Bonjour bonsoir ! :D Comment vous expliquer... J'écris depuis que je sais lire et tenir un stylo dans ma main. Ecrire, c'est un peu comme une extension de moi-même, retranscrite sur le papier. Un moyen de m'évader, d'exprimer ce que je ressens. J'écris généralement en prose, mais il m'arrive d'écrire quelques poèmes de temps en temps ! Depuis déjà trois ans, je travaille sur un recueil de nouvelles, nommé "Noyés dans la lumière". Ce sont des nouvelles qui se passent généralement dans notre monde, mais qui restent un peu magiques, un peu surréelles, comme s'il y avait plus que ce que nous voyons ! J'essaye de redonner un peu d'espoir aux gens, de leur dire que le monde n'est pas que triste ouo Vous me direz si ça marche ! (Le recueil contient 11 nouvelles, mais je ne les posterai pas toutes, parce que bon, faut garder des surprises quand même ! :33) Sinon, j'écris aussi des textes en tout genres, pour des battles, des défis, ou juste pour le plaisir. Ecrire sur un thème que j'aime, qui me trotte dans la tête ! Donc voici quelques uns de mes textes ! J'espère qu'ils vous plairont ! Et n'hésitez surtout pas à prendre du temps pour me dire ce que vous en pensez, ce que vous ressentez ! Ca ne peut que m'aider à m'améliorer ! :3 Awi aussi : je commence mes textes par une citation que j'aime, pour pouvoir "poser le décor" en quelque sorte x') Une épigraphe ça s'appelle je crois. Ou alors, je mets des chansons ou musiques qui m'ont inspirées ouo D'abord, quelques textes du recueil ! - "Attardé":
« L’autisme est un soleil inversé : ses rayons sont dirigés vers l’intérieur. » ~ La lumière du monde, Christian Bobin La petite fille était assise depuis de longues minutes sur sa chaise, dans la salle de classe. Elle fixait le mur de ses yeux bleus pâles sans rien dire, faisant de son mieux pour ne pas croiser le regard mi-terrifié, mi-en colère de la maîtresse. Elle savait qu’elle avait fait quelque chose de mal, mais ne voulait pas voir les yeux globuleux accusateurs de la vieille femme. Sa maman avait été appelée et elle allait bientôt venir. Pourquoi ? Parce qu’elle avait frappé un garçon dans la cour. Elle l’avait frappé très, trèsfort. Il l’avait insultée, dans cette cour de récréation, devant tout le monde. Tous les autres élèves avaient pu profiter de ce moment d’humiliation totale pour elle, la petite fille silencieuse, qui ne demandait rien à personne, sinon qu’on la laisse tranquille dans son coin. Enfin, peut-être l’avait-il insultée... Elle n’avait pas vraiment bien compris les mots qu’il avait utilisés. Mais elle savait que c’était méchant, très méchant. Ça, elle l’avait très bien senti dans la façon dont il avait craché les mots à son visage, et elle l’avait bien vu, les traits du visage du garçon s’étant déformés par le mépris et le dégoût. Il l’avait insultée, elle, mais aussi Sinead, son grand frère de quinze ans, son grand frère à elle. Le garçon brun, prétentieux, s’était approché d’elle, avec ses « amis » et s’était moqué d’elle. Le mot « amis » était un bien grand mot, car au mieux, ils étaient des moutons de Panurge, des gamins qui cherchaient juste à suivre le garçon populaire et qui riaient de ses blagues pour ne pas qu’il les chasse du groupe. Faux-amis, hypocrites. Alors ils la martyrisaient, sans trop savoir ce qu’elle avait fait réellement, c’est à dire rien, la petite fille, afin que le garçon ne les prenne pas à leur tour comme bouc émissaire. Ils préféraient que ce soit elle qui souffre, pas eux. Parce qu’ils avaient peur de lui. Parce qu’ils étaient méchants. Le garçon lui avait dit qu’elle était « la sœur de l’attardé ». Attardé… Elle ne connaissait pas ce mot. Difficile. Elle fit fonctionner sa mémoire pour tenter de s’en souvenir. Non, aucune idée. En quoi son frère était-il un attardé ? Elle ne savait pas. Mystère. Elle ne savait pas du tout ce que ça voulait dire, mais son regard dédaigneux l’avait mise en colère. Et elle l’avait frappé. Maintenant, elle se demandait ce que cela pouvait bien vouloir dire, « attardé ». Était-ce quelque chose de mal ? Le garçon avait dit ça comme si son frère était un monstre. C’était ça un attardé ? Un monstre ? Et maintenant, elle attendait sa mère qui arriva vite. Le bruit de ses chaussures raisonna dans le couloir, sur le carrelage. La petite fille ferma les yeux pour écouter ce bruit familier. Elle était agitée. Allait-elle se faire gronder ? Elle ne voulait pas qu’elle se mette en colère... Elle n’était pas la seule responsable... La mère entra toute essoufflée dans la salle, jetant un regard affolé à la maîtresse qui lui expliqua calmement ce qu’il se passait, le visage de la jeune femme se décomposant au fur et à mesure. La fillette entendit les mots « intolérable », « indigne », qu’elle ne comprenait pas. La mère regarda ensuite sa fille plutôt durement, ce qui ne rassura pas celle-ci sur la punition qui allait arriver, sans aucun doute maintenant, puis, à sa grande surprise, elle fondit en larmes. – Pourquoi as-tu fais ça, Ever ? Pourquoi ? Tu veux que je sois triste ? – Dis, Maman... C’est quoi un « attardé » ? demanda-t-elle avec curiosité. La jeune mère se raidit, comprenant alors la réaction de sa fille. Attardé ? Comment un enfant pouvait-il déjà connaître ce mot ? A moins que ses parents n’en aient parlé devant lui ? Ses lèvres tremblèrent. Alors un gamin avait insulté son fils et sa petite sœur l’avait défendu ? Mais elle ne connaissait même pas le mot… Elle savait que les enfants comprenaient très rapidement ce qu’il se passait, même s’ils ne comprenaient pas tout ce qu’il se disait. Mais elle en était venue aux coups tout de même. – E-Ever... Qui t’a dit ça ? lui demanda-t-elle dans un élan de panique. – C’est quoi Maman ? C’est quoi ? – Un attardé, ma chérie, dit-elle en posant sa main sur sa tête et glissant ses doigts dans ses longs cheveux blonds et bouclés, c’est quelqu’un qui semble ne pas réfléchir aussi vite que les autres... – Sinead... Il est... ? – Non, ma puce. Ce garçon t’a dit n’importe quoi. Sinead est très intelligent... Très très intelligent. La mère prit sa petite fille par la main, qui ne comprenait décidément pas ce qu’il se passait, se demandant pourquoi elle ne l’avait toujours pas disputée. Elle n’était pas en colère ? Et pourquoi disait-elle que Sinead était intelligent, s’il ne réfléchissait pas vite ? Y avait-il un lien entre l’un et l’autre ? Son esprit de petite fille de sept ans et demi commença à tourbillonner. Donc, Sinead n’était pas un attardé. La mère jeta un œil à la maîtresse qui hocha la tête, l’autorisant à partir, lui disant en même temps qu’il n’y aurait aucune sanction de retenue contre Ever. Elle emmena donc la fille à la maison et alors qu’elles marchaient en silence, Ever murmura : – Sinead ne dit jamais rien... Des fois, j’ai l’impression qu’il ne m’aime pas... – Allons, ne dis pas ça... Il ne parle pas beaucoup parce qu’il est malade... – Pourquoi il est malade, Maman ? Parce qu’il est intelligent ? demanda-t-elle avec curiosité. – Il est comme ça depuis tout petit... Sinead est autiste. Ever ne dit rien, ne comprenant pas le mot, mais ne voulant pas paraître ignorante devant sa mère. Son orgueil l’empêcha d’ouvrir la bouche. C’était quoi un autiste ? Un monsieur qui avait mal aux oreilles parce qu’il était intelligent et qu’il ne pensait pas vite ? Devant le silence de sa fille, la mère sourit faiblement, radoucie. Elle essayait tellement de comprendre que c’en était adorable, et puis elle savait qu’elle tenait beaucoup à son frère. Elle tenta de lui expliquer. – Il ne communique pas beaucoup avec les autres parce qu’il ne semble pas comprendre comment nous vivons... Il reste toujours dans sa bulle... Il est dans son monde. – Parfois il me fait peur..., coupa Ever. Sinead devient méchant avec tout le monde... Il crie très fort et j’ai peur qu’il nous fasse mal... Je n’aime pas quand il se met en colère. Tu crois qu’il pourrait nous faire mal ? – Il se met en colère facilement, oui, parce qu’il ne sait pas réagir autrement. Mais il n’est pas dangereux, il nous aime tu sais ? – Mais alors… Pourquoi ? On n’a qu’à lui apprendre à faire les choses bien ! sourit-elle. – C’est pour ça qu’il va chez le médecin ! Pour qu’il l’aide à apprendre à parler et à sortir de ses pensées. – Moi, je crois que c’est Papa et toi qui essayez de vous faire aider par le docteur... Sinead il s’en fiche. Il regarde tout le temps dans le vide... Je crois qu’il n’aime pas le docteur. La mère sourit tristement. Pour être franche, elle n’en savait rien car il était difficile de décrypter les pensées de son fils. Mais peut-être sa petite fille avait-elle raison… Ils avaient besoin d’en parler à quelqu’un, à quelqu’un qui comprendrait, pas à des voisins ou des amis qui finiraient par vous souhaiter bon courage avec un regard débordant d’une compassion dont ils ne voulaient pas… Elles arrivèrent à la maison et la conversation s’arrêta là. Ever monta dans sa chambre et posa son cartable sur son lit, puis se dirigea d’un pas mal assuré vers la chambre de son frère aîné. Elle traversa le couloir aux murs blancs, sans aucun cadre, comme si aucune photographie de toute la famille n’avait jamais été prise. La porte était entr’ouverte et elle resta un instant sur le seuil avant de se décider à la pousser, se glissant dans l’entrebâillement en manquant d’y laisser coincé le coin de sa robe blanche. Sinead était assis sur son lit, immobile, le regard dans le vague, dans un semblant d’indifférence. Il avait discerné la silhouette de sa petite sœur mais il ne bougea pas. Il resta appuyé là, le dos au mur, laissant se balancer ses jambes au bord du lit. Il n’y connaissait pas grand-chose aux relations humaines. Il aurait bien aimé la serrer dans ses bras, parce qu’il l’aimait, c’était certain, même s’il ne savait pas lui montrer. Il l’aimait beaucoup. Elle, elle cherchait vraiment à comprendre ce qu’il se passait, c’était amusant de la voir courir un peu partout dans la maison en posant des questions à tout va, en voulant savoir quelque chose. Bon, il n’avait toujours pas déterminé quoi. Il avait remarqué qu’elle était entrée, qu’elle avait faillit déchirer sa robe qui lui donnait l’air d’un ange, mais il ne fit pas le moindre mouvement dans sa direction. Il avait peur de se mettre en colère si elle l’approchait de trop près, comme la dernière fois. Il avait failli la blesser, lui faire du mal, alors que ce n’était pas ce qu’il voulait. Il avait voulu la serrer contre lui, de cette étreinte fraternelle qu’il était incapable de reproduire. Et le simple fait de ne pas savoir comment s’y prendre l’avait mis dans une rage folle, incontrôlable. Et elle avait hurlé, et elle avait éclaté en sanglots, et elle s’était enfuie. Encore. Il avait encore une fois échoué à l’aimer. Alors, cette fois, il resta là, sans la regarder. Ever observa l’immobilité de son frère qui ne la voyait pas. Il avait l’air d’une de ces statues de pierre bizarres, lisses et blanches, au musée. Sauf qu’il n’était pas tout nu… Elle resta très près de la porte, prête à courir, si jamais il se mettait en colère. Peut-être regardait-il à l’intérieur de lui-même ? Ou peut-être voyait-il plus loin qu’elle... Elle ne savait pas. Elle remarqua qu’il murmurait des syllabes incompréhensibles, comme s’il essayait de dire quelque chose, quelque chose qu’elle ne comprenait pas. Elle s’approcha avec inquiétude et s’agenouilla à côté de lui sur le lit, froissant au passage la couette bleue nuit, cherchant à s’empêcher de trembler. Plus près, elle ne comprenait toujours pas. Ça ne voulait rien dire… Il alignait syllabe sur syllabe, sans lien. – Sinead ? Je ne sais pas si tu m’entends ou si tu comprends... Mais Maman m’a dit que tu étais très intelligent alors je vais croire que oui. Tu sais... A la maison, même si on ne dirait pas, on s’inquiète beaucoup pour toi. Maman et Papa t’aiment de tout leur cœur. Moi aussi je t’aime. Tu es toujours tout seul et tu ne parles pas beaucoup. Maman m’a dit que c’était parce que tu ne savais pas faire... Voyant qu’il ne bougeait toujours pas, elle se rapprocha un peu de lui, prenant le temps de l’observer. Son visage était pâle comme la mort, le garçon n’ayant presque jamais mis les pieds hors de la maison. Il faisait un peu peur... Il ressemblait presqu’à un fantôme. Sinead, même si cela ne se voyait pas, s’était complètement figé. Elle ne le comprenait pas. Il n’arrivait pas à dire quelque chose de suffisamment cohérent pour qu’elle l’entende. Il avait essayé, encore une fois, de lui dire qu’il l’aimait, qu’il comprenait, qu’il savait tout ce qu’elle et leurs parents faisaient pour lui. Il savait qu’ils l’aimaient. Mais eux, savaient-ils combien il les aimait en retour ? Sans doute pas. La présence de sa sœur le rassurait un peu, mais il ne réagit pas, comme d’habitude. Il n’avait rien su dire. Même le « Je t’aime » qu’il essayait tant bien que mal de lui faire comprendre ne parvenait pas à sortir de façon claire. Il fixa avec un peu plus d’angoisse le mur blanc en face de lui. Ever prit sa main dans la sienne, la serrant de toutes ses petites forces et cherchant à capter le regard gris pâle de son frère, gris comme la lune qui n’espère que le soleil. Elle n’eut aucune réaction de sa part et elle jugea que c’était quand même préférable à ce qu’il se mette en colère. Elle continua, un peu plus déterminée, une petite flamme brûlant dans les yeux : – Alors moi, je vais t’apprendre !! Je vais t’apprendre à parler avec nous ! Avec moi ! Et comme ça... Comme ça tu pourras venir faire des balades avec nous ! Dans le parc, en été, on courra ensemble après les pigeons ! Il ne faut pas que tu restes tout seul dans ta chambre !! C’est triste les gens seuls... Moi, je vais t’aider ! Et puis, j’ai deviné que tu n’aimais pas le docteur ! Si tu parles un peu et que tu essayes de t’ouvrir aux autres, il n’aura plus à venir et tu seras libre ! Il ne te posera plus de questions ! Tu pourras venir voir les nuages avec moi ! Voir le monde ! Et on sera ensemble ! Je vais t’aider et tout ira mieux, tu verras ! Elle marqua une courte pause, hésitant sur les mots qui allaient suivre. Puis elle se serra contre le cœur du jeune homme, qui se pétrifia un peu plus, et souffla : – Je t’aime Sinead… Et je sais que toi aussi. Elle se blottit une seconde de plus contre son frère et sauta à pieds joints du lit. Mais, s’apprêtant à partir, elle n’y arriva pas. Elle se tourna vers lui, étonnée. Il serrait sa main très fort et avait levé ses yeux argentés, devant lesquels tombaient ses cheveux noirs, sur elle. Il la serrait tellement fort qu’elle en avait presque mal. Mais elle ne retira pas sa main. Il s’accrochait à elle comme un petit enfant qui apprend à nager et a peur de couler s’accroche à sa bouée-canard, haletant. Ses yeux brillaient. Alors elle avait compris ? Tous ses efforts n’avaient pas été vains ? Elle voulait… L’aider ? Voir le monde ? Rester ensembles ? Toujours ? Il sentit que les larmes lui montaient aux yeux. Il voulait… Lui exprimer tout ce qu’il ressentait, toute sa gratitude, lui dire vraiment qu’il l’aimait. Dire à ses parents qu’il les aimait. Leur dire merci. Alors, oui, il voulait qu’elle l’aide. Il ne voulait plus qu’ils souffrent à cause de lui. Il voulait juste qu’on l’aide, qu’Ever l’aide. Il avait juste besoin d’Ever. Son cœur battait plus vite, comme après une course effrénée, dont il venait de franchir l’arrivée, vainqueur. – Sinead ? Tu... Ça va ? demanda la fillette qui commençait à être un peu effrayée. Le visage toujours impassible, une larme roula doucement sur la joue du garçon. Oui, tout allait bien. Une lueur nouvelle dansa dans ses yeux. Tout allait bien. Tout irait bien. Il voulait lui dire… Mais un seul mot réussit à franchir ses lèvres alors qu’un long discours lui traversait l’esprit, qu’il se savait incapable de prononcer. Un sourire éclatant apparut sur les lèvres de sa sœur alors qu’il le chuchotait : – E-Ever...
- Le Monsieur des étoiles:
« Il est grand temps de rallumer les étoiles » ~ Guillaume Apollinaire – Pardon... Je cherche le Monsieur des étoiles, vous savez où il est ? L'homme à qui la toute petite fille venait de poser la question se retourna, surpris. Il se trouva face à une enfant de peut-être sept ans, de longs cheveux blonds tressés lui tombant jusqu'en dessous des hanches, une robe bleu marine et le dévisageant avec de grands yeux bleus polaires. Sa question était saugrenue. Qui était ce « Monsieur des étoiles » ? Et pourquoi lui parlait-elle à lui ? Et surtout que faisait une enfant de cet âge seule, à une heure aussi tardive, en plein hiver, à traîner dans les rues sans ses parents ?! Elle continuait de l'observer, attendant une réponse, qui semblait évidente : le lieu où se trouvait le « Monsieur des étoiles ». – Je ne sais pas, répondit honnêtement l'homme. Je ne sais pas de qui tu parles, donc encore moins où il est. La petite sembla horrifiée de sa réponse. Il n'était sans doute pas le premier à lui répondre cela et elle devait commencer à croire qu'elle ne le trouverait jamais. Il se demanda de nouveau qui était cet homme et analysa qu'il devait s'agir d'une connaissance de l'enfant. Il préféra toute de même demander. – Et qui est ce Monsieur des étoiles ? – Ben, le monsieur qui allume les étoiles !! répondit-elle avec aplomb, comme s'il s'agissait de l'évidence même. L'homme soupira. Allons, cela se saurait si un homme traversait le ciel tout les soirs pour allumer les étoiles une à une. La petite lui lança le regard qui signifiait clairement « Il est stupide celui-là ! » et tourna les talons. Elle s'assit sur un banc, scrutant la foule de ses yeux vifs, cherchant sans doute l'homme qui allumait les étoiles. L'homme s'assit à côté d'elle, bien décidé à ne pas la laisser seule. Ses parents ne devaient pas être bien loin... – Tu es sûre qu'il est ici, ce monsieur ? Questionna-t-il. – Ben oui ! Maman dit toujours que New York vu de dessus ressemble au ciel avec plein d'étoiles ! Évidement... Au moins, elle avait une mère, c'était rassurant. Le raisonnement était vraiment enfantin, mais il devait bien admettre qu'elle avait raison. Vu du ciel, la ville semblait s'illuminer la nuit. Mais New York, c'était grand pour une petite fille. Il leva les yeux vers les guirlandes sur la vitrine devant lui. Des étoiles. Elle avait dû se dire que c'était par là, elle avait dû suivre les signes... Il se tourna vers elle mais elle avait disparu. Inquiet, il se leva d'un bond et scruta la foule. Il la trouva rapidement, s'approchant d'un homme qui avait ouvert son briquet pour allumer une cigarette. Il la rattrapa par le bras alors qu'elle était en train de poser son éternelle question. – Pardon, je cherche le Monsieur des étoiles, vous - – Excusez-la, coupa l'homme. – Vous devriez apprendre à tenir vos enfants ! S'exclama le fumeur avec mépris et s'éloignant à grands pas. L'homme ne répondit pas et ramena la petite jusqu'au banc. Elle semblait déçue. Ce n'était pas lui non-plus... Son voisin ne dit rien. Que pouvait-il lui dire ? Que son « Monsieur des étoiles » n'existait pas ? Il ne voulait pas briser son rêve et voir l'horreur dans ses yeux... Il était lâche et n'osait pas dire la vérité à cette enfant. Il posa sa main sur les cheveux de la petite qui commençaient à se recouvrir de neige et elle leva les yeux au ciel. L'homme suivit le mouvement et plongea son regard dans les étoiles... Il n'y en avait que peu à cause de la pollution de la ville. Mais la gamine semblait émerveillée. – Pourquoi tu veux tellement trouver cet homme ? Demanda-t-il à voix basse. – Dans mon pays, il n'y a pas d'étoiles... Il fait tout le temps tout noir et l'air est trop sale pour qu'elles apparaissent. Alors je veux demander au Monsieur des étoiles s'il veut bien venir avec moi rallumer les étoiles. L'homme en resta sans voix. C'était l'idée attendrissante d'un enfant, mais elle était profondément sérieuse et il le sentait. Il se leva et tendit la main à la petite fille avec un sourire innocent. – Et bien allons le chercher ce Monsieur des étoiles. Ce serait triste un monde sans étoiles ! L'enfant lui fit un grand sourire et ils commencèrent tous les deux à tourner au milieu de la foule, cherchant l'homme, posant des questions, sous le regard dédaigneux des gens qui les considéraient sans doute comme des fous. L'homme décida de ne pas y faire attention. Cette petite avait un rêve et les rêves sont réalisés par les fous. Il sourit à la dame qui l'insulta au passage, terminant par un « gamin immature » qui lui vint droit au cœur et il la salua de la main. La petite lui attrapa la main et s'élança dans la neige en s'écriant : – Regardez !! Il n'est pas loin !! Il y a de nouvelles étoiles qui s'allument !! L'homme leva les yeux au ciel. Oui, de plus en plus d'étoiles apparaissaient. Soudain, l'enfant s'arrêta et il manqua de la percuter. Elle se tourna vers un coin plus sombre où était allongé un vieil homme. – On ne lui a pas demandé à lui ! L'homme hésita, observant le SDF qui était en train de geler sur le sol, avec pour seul vêtement un pantalon troué et une veste sale. La fillette le tira en avant, l'empêchant de reculer. Il déglutit et s'approcha doucement, pour ne pas réveiller l'homme. Mais celui-ci ne dormait pas et les fixait de son regard clair. Il se releva péniblement et toussa. Il était visiblement malade à force de rester dehors et de manger moins qu'il n'était permis. Avant qu'il n'ait pu reprendre son souffle, la petite fille s'exclama, toute excitée. – Excusez-moi, monsieur ! Vous ne sauriez pas où je pourrais trouver le Monsieur des étoiles ?! Elle montra le ciel du doigt et le vieillard suivit le signe, se rappelant alors à quel point un ciel d'hiver pouvait être magnifique. Il sentit les larmes lui monter aux yeux et un sourire apaisant naquit sur ses lèvres. Il se tourna vers l'enfant qui l'observait avec une impatience évidente et son sourire s'élargit. Elle avait le soleil dans les cheveux, l'océan du Nord dans les yeux et tout ce qu'elle voulait, c'était les étoiles de la nuit... – Bien sûr que je sais où il se trouve ! La petite fille frémit d'excitation. « Où ?! » criaient ses yeux. Le vieil homme se leva et posa sa main sur son épaule. – C'est moi, bravo mouflette, tu m'as trouvé ! – C'est vrai ? sourit la petite. – C'est vrai ? murmura en écho l'homme qui l'accompagnait. Pour preuve, le vieillard leva le doigt vers le ciel et au bout, une étoile s'alluma. Il réitéra l'expérience plusieurs fois pour que la petite le croit. Celle-ci se serra dans les bras du vieux SDF avec bonheur puis s'assit en tailleur sur le sol regardant avec ferveur les étoiles s'allumer tour à tour dans le ciel. Ébahi, l'homme ne bougeait pas, bouche bée. Comment était-ce possible ? Donc cet homme existait réellement ?! A moins que la petite et le vieillard ne soit qu'un jeu de son imagination et qu'il se soit assoupi sur un banc... Il sentit la main du vieil homme sur son épaule et tressaillit. – Nous sommes réels, sourit-il. – Parce que vous lisez dans les pensées en plus ? répliqua l'homme avec ironie pour cacher son malaise. – Non. Je ne lis pas dans votre tête. – Il parla plus bas. – Et je ne suis pas non-plus le Monsieur des étoiles. Surpris, l'homme se dégagea. Le vieillard éclata de rire. – Du moins, reprit-il, si je le suis, vous l'êtes aussi ! Ce que vous avez accompli ce soir est digne du plus grand Monsieur des étoiles. – Je ne comprends pas ce que vous dites, répondit l'homme en resserrant son écharpe. – Avez-vous compris ce que sont les étoiles, monsieur ? – Des boules de feu ou des planètes qui traversent l'Univers, répliqua-t-il. – Pas du tout ! sourit son interlocuteur. Décidément, il ne cessait de le prendre au dépourvu ! L'homme le dévisagea avec hébétement, attendant qu'il poursuive. Cette histoire devenait dingue. – Les étoiles, reprit le SDF, les étoiles ce sont des enfants qui croient que tout est possible, qu'ils peuvent tout atteindre, qu'ils peuvent aller n'importe où et que tout les chemins leurs sont ouverts. – Mais quand on devient adulte... – Allons, vous êtes un adulte non ? Pourtant, vous vous êtes comporté comme un enfant tout à l'heure ! Il reste toujours une part d'enfance dans chacun de nous... – Mais... Alors le Monsieur des étoiles... Qui est-il. – Vous le savez. L'homme réfléchit un instant. – Le Monsieur des étoiles est là pour rallumer les étoiles... Il aide les enfants à croire... Le vieillard hocha doucement la tête en souriant. Il avait compris. – Dans ce cas, continua-t-il, il y a des millions de Messieurs des étoiles ! – Oui, beaucoup plus qu'on ne le pense, approuva l'ancien. Vous en faites partie ! – Mais comment savoir qu'on a réussi ? Demanda-t-il avec un sourire. – La plus belle étoile, souffla le vieux en resserrant le peu de manteau qu'il avait. - L'homme lui donna volontiers son écharpe. - Merci. Il montra du doigt la petite fille. – Elle. – Non, fit-il en secouant la tête. Les étoiles naissent dans le sourire des enfants. C'est ça une étoile. Un sourire d'enfant. L'homme tourna la tête vers la fillette sans rien dire, qui contemplait encore les étoiles. Elle semblait briller, s'illuminer de bonheur. Elle souriait.
- Hiver:
"La guerre prend tout et n'épargne personne." ~ Cheval de Guerre On y a tous cru. De gaieté de cœur, nous pensions que la guerre serait courte, qu'il n'y aurait que peu de pertes, que les boches seraient vite défaits. Nous pensions que ce ne serait l'affaire que de deux mois, peut-être trois. On croyait rentrer bientôt, retrouver notre famille, leur raconter nos exploits, notre bravoure. Mais nous nous sommes trompés. Bientôt, il n'y aura plus un homme valide pour se tenir debout. Les frisés sont bien plus nombreux qu'on ne le pensait, bien plus résistants. On croyait qu'il suffirait d'en tuer quelques uns pour qu'ils s'enfuient. Mais finalement... Finalement, quand on se trouve face à eux, sur le champ de bataille, au milieu du silence, on se rend compte qu'ils sont comme nous. Ce sont des hommes qui ne savent plus trop pourquoi ils sont là, à se battre, à se terrer dans ces tranchées en attendant qu'une bombe vienne les déloger. Eux aussi, ils aimeraient bien revoir leur famille, leurs enfants. Mais cela fait des mois qu'ils sont coincés ici. Comme nous. La famille... J'avais dit à ma femme que je rentrerais vite, que ce ne serait pas long, que tout irait bien. J'y croyais. Vraiment. Je suis parti sans me retourner et elle n'a pas essayé de me rattraper, de me convaincre de ne pas y aller... A l'époque, j'aurais refusé. Aujourd'hui... Je n'ai plus que l'espoir qu'elle m'attende. Ça fera bientôt deux ans. Tous les matins, elle doit sans doute attendre à la fenêtre, à guetter mon retour... Si elle a encore l'espoir que je revienne. Il fait froid. L'hiver est bien là. Il a neigé ce matin et le no man's land s'est recouvert d'une couverture immaculée... Un linceul pour faire disparaître toute cette horreur. Parfois, je me dis : « Demain, tout sera fini. », puis je me rappelle son sourire, la promesse que je lui ai faite, de toujours revenir. L'idée de tenir cette promesse s'éloigne un peu plus chaque jour. Si je ne meure pas abattu par un Allemand, je mourrai de froid ou de faim. Le réapprovisionnement se fait rare et, au fond, plus de gens meurent entre ces deux mètres cinquante de largeur que là-haut, à l'air libre. Y a-t-il quelqu'un qui pense comme moi de l'autre côté ? Un Allemand qui lui aussi a peur ? Ce serait normal... Si on peut encore parler de quelque chose de normal en parlant de cette guerre. Au fond je me demande pourquoi on continue... Un humain qui tue un autre humain et ainsi de suite... Bientôt, il n'y aura plus personne à tuer. Peut-être que celui sur qui je tirerai tout à l'heure sera comme moi. Il aura peur. Il voudra rentrer chez lui, serrer ses enfants dans ses bras. Et ce sera lui ou moi. Décider de qui reverra ceux qui lui sont chers. Décider du sort de quelqu'un qu'on ne connaît pas, d'un seul geste. Ils vont détruire mon monde, à moins que je ne détruise le leur. Ce n'est qu'un jeu macabre. Un face à face avec la mort. Tout à l'heure, ce sera lui, ou moi. Et ni l'un ni l'autre, nous ne devrons hésiter. Une hésitation est suffisante pour tout perdre... Qui rompra le fil de l'autre ? En appuyant sur la gâchette, je le séparerai indéniablement de tout ce qu'il a. Mais en même temps, je me couperai aussi définitivement de tout. On ne voit plus le monde de la même façon quand on a tué un homme. On ne se sent plus vraiment à sa place, mais on ne veut rien expliquer. Parce qu'il n'y a rien à expliquer. C'était lui, ou moi, il n'y avait pas d'autre alternative. Qui sait si je ne tomberai pas non-plus sur un jeune homme, tout droit sortit de l'adolescence, qui s'est porté volontaire sans savoir ce qui l'attendait ? Qui voulait devenir un héros ! Un héros. Devenir un héros par le simple fait de mourir... Aucun acte héroïque nécessaire. Juste mourir, comme ça, au cœur du no man's land. Sans que personne ne s'en soucie, sans hommage, sans rien. Un mort anonyme au milieu de milliers d'autres. Et si c'est un enfant ? Pourrai-je l'abattre de toute mon assurance ? Réduire une vie qui n'a pas encore commencé à néant ? Voir ses yeux s'éteindre sans comprendre ? Il le faudrait, puisque c'est un ennemi. Un enfant, mais un Allemand, donc un ennemi. Comme si tous les Allemands avaient voulu cela ! Comme si un enfant voulait se ruiner dans une guerre sans fin, destinée à durer encore des mois ! Les jeunes veulent la gloire, la reconnaissance... Mais ils ne devraient pas avoir besoin de donner la mort ou de mourir pour l'avoir. Les autres commencent à bouger. Il y a de l'agitation dehors... C'est bientôt l'heure. L'adrénaline monte... A moins que ce ne soit l'angoisse. Bientôt, les sirènes vont retentir. Il va falloir monter, courir, fermer les yeux sur les corps qui tombent, ne pas s'arrêter, courir encore. Faire comme s'il n'y avait personne autour de soit. Comme un coureur qui ne vise que la ligne d'arrivée. Mais cette ligne, c'est la mort. Ça l'a toujours été. Quand on arrivera de l'autre côté, il n'y aura pas de médailles, pas de récompenses, juste les corps de nos camarades à ensevelir. On n'aura pas le temps de pleurer. Il ne faut pas hésiter. Ne pas hésiter et continuer d'avancer, malgré les cris, malgré la douleur, malgré le froid. Je ne sens presque plus mes doigts... Ça y est, l'alarme sonne, le capitaine commence à crier des ordres à droite, à gauche. Chacun prend une arme. Il faut monter maintenant, vers les boches, vers le soleil glacé de l'hiver... Le soldat qui se trouve à côté de moi me regarde. Il tente un faible sourire, terrorisé. - Bonne chance, camarade. - Toi aussi, l'ami. Il disparaît dans la brume et j'avance. Il fait froid. ***** La jeune femme essayait fébrilement d'ouvrir l'enveloppe, ses mains tremblant trop pour qu'elle y parvienne. Elle mit quelques secondes à lire ce qu'il y avait d'écrit sur le billet. Son monde s'écroula.
Ensuite, quelques textes en tous genres, qui ne sont pas inclus dans le projet ! - Roses pourpres:
If I die young - Band of Perry Bientôt le soleil allait se lever... Encore une fois, comme toujours. Et elle n'était pas là. Un jour, elle lui avait dit, le sourire aux lèvres : « Tu sais, quoi qu'il arrive, le soleil continuera toujours de se lever ! » C'était censé être un message d'espoir, mais aujourd'hui, il préférerait qu'il ne se lève pas, que la terre reste dans une obscurité éternelle. Il gratta deux accords sur sa guitare, les yeux dans le vide. Il avait faim. Il avait tout le temps faim en ce moment. Elle lui manquait avec ses réflexions métaphysiques. Il était mélancolique, ce soir. Il jeta un coup d’œil à sa tasse de thé, qui trônait fièrement sur le fartas de sa table basse depuis le début de la soirée. Il était froid maintenant. Le musicien soupira. Bon, il devait composer cette fois... Il lui avait promis une chanson la dernière fois qu'ils s'étaient vu. Et il ne voulait pas la décevoir. Il tourna le regard vers l'extérieur, admirant la nuit une seconde. Bientôt, il allait devoir fermer les volets et aller se terrer au sous-sol. Il aurait tout le temps de composer. Il soupira. Il avait faim, vraiment. Or, si, lui, ne pouvait sortir que la nuit, les humains eux, ne sortaient que le jour. C'était rare de croiser un bon humain la nuit. Il n'y avait que des SDF et des petits crétins avinés. C'était un cercle infernal pour lui, le damné, qui n'avait rien à se mettre sous la dent. Comme dans le mythe de l'homme condamné à tendre la main vers le fruit et ne jamais pouvoir l'attraper. Il poussa un sifflement rageur et un son discordant sorti de son instrument. Il avait soif, maintenant, de cette soif intangible, impossible à assouvir avec une tasse de thé. Il savait très bien ce qui pourrait l'étancher... Un léger sourire pervers passa sur ses lèvres et il chassa l'idée. Il posa sa guitare dans l'étui avec une certaine légèreté et alla s'allonger sur son lit. Ses yeux clairs, injectés de sang se posèrent sur les seringues qui se trouvaient. Un sourire ironique naquit sur ses lèvres. Dire que pendant un temps, il avait songé à s'injecter suffisamment de drogue dans le sang pour en mourir... Malheureusement, ça ne marchait pas. Les damnés n'avaient pas la chance de mourir... Maintenant, il se faisait des injections juste pour se rebooster, pour le fun diraient les humains d'aujourd'hui... Quitte à ne pas pouvoir se suicider, autant en profiter pour planer un peu, ça faisait passer le temps, après tout, surtout quand on vivait seul depuis deux cents ans. Seul petit hic, les drogues injectaient ses yeux de sang et l'empêchaient de manger... Enfin manger... Il maigrissait, quoi. Il avait plus mort-vivant que d'habitude, si c'était possible. Un nouveau sourire sarcastique illumina son visage. Bon. Ce coup-ci, ce n'était plus vivable. Il se leva avec un mélange d'agilité, presque surnaturelle, et d'hésitation, due à sa dose, et se dirigea vers le réfrigérateur. Puisqu'il ne pouvait pas sortir la journée et qu'il oubliait généralement de sortir la nuit, il avait fait des réserves. Intelligent, n'est-ce pas ? En plus, il n'avait pas envie d'un pauvre SDF, ce soir... Il avait besoin de quelque chose de plus voluptueux, plus enivrant. Il alla chercher dans un des bacs un petit sachet en plastique transparent, où un liquide rouge, presque noirâtre, commençait à geler. Ça devait faire un bout de temps qu'il était là... Le sang chaud, ce n'était pas bon, mais trop froid, c'était presque pire... Mais bon, il fallait bien qu'il fasse avec les moyens du bord. Il ouvrit le sachet d'un geste vif et porta l'embouchure à ses lèvres pâles. Il poussa un soupir de bien-être. Ça lui avait manqué... Deux jours qu'il ne s'était pas nourri, trop obnubilé par cette stupide chanson. Il en aurait presque oublié sa véritable drogue... Il essuya d'un revers de la manche la goutte de sang qui perlait à la commissure de ses lèvres et alla reprendre sa guitare, ragaillardi. Par contre, la nuit prochaine, il devrait se trouver du sang frais... Le sang congelé n'était vraiment pas bon pour son organisme... Et il allait encore avoir des crampes à l'estomac. Il passa ses doigts dans ses cheveux sombres. Ce serait bien si la prochaine pouvait être une fille, une jolie, qu'il n'aurait pas de mal à séduire. Il lui chanterait une ou deux ballades et elle se laisserait faire, saoule, sortie de boite de nuit. Il devait attendre... Attendre qu'elle revienne, puisqu'elle lui avait promis de revenir. Peut-être était-il naïf... Après tout, ça ne faisait que deux cents ans qu'il l'attendait. Et elle viendrait, il l'avait promis. Alors en attendant, il s'occupait, il s'évadait... Il reprit sa guitare et recommença à grattouiller, l'esprit tournant à cent à l'heure, réveillé par le mélange – peu néfaste pour lui – de la cocaïne et du sang froid. Il entonna de sa voix profonde les premières notes de la chanson. Sa chanson. Bloody Roses...
- Auschwitz:
Je savais que ce n'était pas une bonne idée. Que mon cœur n'allait pas tenir le coup et qu'il allait sans doute se décrocher de ma cage thoracique pour se liquéfier. Ce n'était vraiment pas une bonne idée... Je n'aurais pas dû accepter de l'accompagner dans son pari stupide. Un matin, mon meilleur ami, tout sourire, est venu me proposer une escapade en Allemagne. Au début, j'étais assez emballé. Sauf qu'il m'a proposé d'aller à Auschwitz. Bon, il a sans doute fait ça parce qu'il sait que j'aime beaucoup cette période, et comme un idiot, j'ai accepté. Et maintenant, on est devant la barrière de barbelés, les « séchoirs ». Beaucoup ont dû rester coincés dedans en essayant de s'enfuir, à sécher parce que personne ne venait les chercher. On voit encore des traces de sang séché, mais ça ne sent plus rien. A l'époque, ça devait être atroce. Mon ami a l'air enthousiaste à l'idée d'entrer. Pas moi, j'ai le cœur au bord des lèvres. Quelle idée ont eu ces gens de reconstruire le camp ? Ne pas oublier ? C'est horrible. C'est devenu une attraction à touristes, s'amusant à se prendre en photo devant les fours et les cellules. - Eh ! Raphaël !! Tu viens ou tu restes planté là ?? Je suis le groupe d'un pas mécanique. Le guide commence à expliquer les atrocités commises ici. Ça me retourne l'estomac. J'entends presque les soupirs de fatigue des prisonniers et les ordres hurlés par les tortionnaires. Je ferme les yeux un instant pour récupérer mon souffle. Peut-être que si je réussissais à garder les yeux fermés, je parviendrais à oublier tout ça, et rester comme ça en attendant que cela se termine. Je ne veux pas aller plus loin. Sinon, je vais me mettre à pleurer et Gabriel va se foutre de moi. Je garde les yeux fermés encore quelques secondes et inspire profondément. Un haut-le-cœur me saisit. Mieux vaut garder les yeux ouvert... Quand on se focalise sur un point, ça évite de sentir trop fort ce qu'il y a autour de soi. Mais là... C'est presque insoutenable. Plus je ferme les yeux, plus la puissance des odeurs augmente. Ça sent l'horreur. C'est tout ce que je peux exprimer. J'ai l'impression de sentir les souffrances qu'ont enduré les gens cloisonnés ici. Peut-être que c'est mon imagination, mais on sent encore l'odeur de la crasse de ces personnes entassées pendant des semaines. La terre mélangée au sang des hommes battus par les gardiens. On sent aussi l'odeur salée des larmes amères et désespérées. Le guide nous fait avancer vers les douches. On leur faisait croire qu'ils allaient pouvoir se laver, mais finalement, on les gazait, comme on tue un rat qui dérange. Le gaz est inodore, ça tue plus facilement, sans qu'ils aient eu le temps de s'en rendre compte... Au moment où tu sens le gaz, il est déjà trop tard... Pour eux, il était trop tard quand ils se sont mis dans la queue pour aller aux douches. Je commence à suffoquer. Ces odeurs m'étranglent. J'imagine l'odeur des maladies, de la saleté et de l'insalubrité qui s'enchevêtrent et ça me fait tourner la tête. Je ne me sens pas bien, je crois que j'ai besoin de m'asseoir. Le groupe continue d'avancer. Je n'arrive presque plus à respirer, l'air est lourd et pesant. On repasse devant les cabanes où étaient cloîtrés les prisonniers. Ça pue la mort. Ça sent le fauve, le confiné. Les fenêtres n'ont jamais dû être ouvertes. Il n'y a pas de fenêtres d'ailleurs... Sans doute pour éviter aux gens de s'échapper. Enfin s'échapper. À Auschwitz, c'est mission impossible. - Raphaël ? T'es sûr que ça va ? T'es tout blanc, mec ! - Oui, oui... Les larmes me montent encore aux yeux. Non, ça va vraiment pas. Comment veut-il que ça aille ?? J'ai l'impression que mon cœur va lâcher ! Je suis beaucoup trop émotif pour ce genre d'endroit ! Mais pourquoi j'ai accepté ?? Le guide, un grand sourire aux lèvres, chemise hawaïenne assortie à ses tongs, nous emmène jusqu'aux fours. Il me donne envie de gerber. Enfin... Lui plus tout ce qui règnent autour me donnent envie de gerber. - C'est ici qu'on brûlait les corps ! Je sens de nouveau la nausée revenir. Et il y a encore ces odeurs qui me tourmentent, que même le vent n'arrive pas à faire disparaître. Je sais que c'est mon esprit qui imagine. Je prie pour que ça ne sente pas encore aussi fort aujourd'hui. Pitié que ce soit mon imagination. J'ai l'impression que l'odeur âpre du feu n'a pas disparu. Ça sent la chair calcinée... Un peu comme un steak qui a brûlé. Oui, je sais, c'est horrible à dire, mais c'est ce à quoi ça ressemble le plus. C'est ça. Ça sent le brûlé... Et puis il y a l'odeur de la graisse de la peau qui flotte dans l'air, étouffante, écœurante. Malgré le fait que tout ait été nettoyé de fond en comble, plusieurs fois, l'odeur reste, pour que jamais on ne l'oublie. Elle refuse de disparaître. Et je suis persuadé que si le camp venait un jour à disparaître, l'odeur de l'horreur et de la mort resterait. Comme un dernier fantôme du passé... J'essaye de respirer, mais plus j'inspire, plus je me sens mal. Si je continue, je vais devoir rester en apnée. Je tousse et regarde le guide. Il a l'air content, je ne sais pas trop pourquoi. Ça ne devrait pas être permis d'être content dans ce genre d'endroit. Je sens les battements de mon cœur s'accélérer. Je tapote l'épaule de mon ami : - Gabriel... - Ça va pas Raph' ? - Non, je... Je vais... Je vais partir. - Hein ? Mais la visite est bientôt finie ! - Gabriel. Je... Sérieux, je vais gerber. Il me regarde avec ses yeux ronds et hoche la tête. Je pars en courant, une larme glissant sur ma joue, cherchant l'air pur. Mais le vent ramène toujours cette puanteur vers moi. Elle est collée à ma peau.
- Metropolitan:
Une nouvelle fois, tu te fais dépasser par ces gens qui marchent toujours plus vite, toujours plus de mauvaise humeur. Ils te bousculent sans te dire pardon, filant comme des gazelles poursuivies par un lion, se faufilant entre les escalators, pour échapper peut-être au lion qui les poursuit, qui sait ? Ils ont sans doute peur de se faire enguirlander par leur patron s'ils arrivent en retard. Mais toi, tu marches lentement, tu profites qu'il soit encore tôt, que la foule dense ne se soient pas encore ruée dans les couloirs du métropolitain. Tu marche lentement, respirant l'air renfermé qui passe dans le peu d'aérations. Au loin, tu entends de la musique. Tu te diriges vers le son, automatiquement, car toi, tu as du temps à tuer le matin à six heures trente. Et tous les matins, le métro t'attire irrésistiblement, comme un aimant. Derrière toi, tu entends une autre musique, bien moins gracieuse à l'oreille. Ces l'homme à qui tu viens de couper la piste de marathon qui pousse des jurons et des noms d'oiseaux. Tu n'y fais pas attention, attiré par le joueur du métro, qui est là tous les matins, toute la journée. Comme souvent, tu te dis que c'est dommage qu'il joue uniquement dans le métro, face à des gens qui lui marcheraient presque dessus pour aller plus vite. Il a du talent, sa musique pourrait marcher. Ce sont des incompris, des artistes de rues, enfermés dans les couloirs du métro, comme si c'était leur maison. Celui-là joue une mélodie triste, au violoncelle. Tu l'écoutes, un sourire mélancolique aux lèvres, plongée dans une douce rêverie qui t'emmène loin de toute cette débandade. La musique s'arrête. Le joueur de violoncelle te sourit doucement. Il n'est pas là uniquement pour faire la manche. Il veut apporter un peu de douceur au monde souterrain privé de lumière. Tu lui donnes un peu d'argent et reçoit en échange un regard méprisant des passants. Parce que ça ne se fait pas de donner de l'argent dans les couloirs du métro. Mais tu t'en fiches, la musique était belle. L'âme de cette homme était belle. Alors tu lui donnes un peu d'argent. - Vous allez rater votre métro, qu'il dit. Tu hoches la tête et tu tournes les talons. Il te fait un signe de la main et s'évapore dans la foule, comme un ange qui est venu et qui est reparti, comme ça, sans un bruit, donnant un peu de sa lumière sans qu'on le remarque. On ne dirait pas, mais ce genre de moment vend du rêve. En plus, il n'arrive que dans le métro. Tu lèves rapidement les yeux vers les panneaux indicateurs, même si tu sais très bien où tu vas. C'est automatique, tu n'y peux rien. Tu rejoins le quai numéro deux et tu attends, observant les affiches et retenant à moitié ta respiration face à la puanteur décuplée par les tunnels. Pourtant tu aimes le métro. Mais on ne s'habitue jamais à cette odeur, ni à cette chaleur. Les gens commencent à s'entasser. Il ne reste plus qu'une minute. Tu commences à avoir mal à la tête. Un bébé dans une poussette crie, sûrement éreinté par le dédale de couloir qu'il a dû traverser à un rythme effréné. Tu reprends ton souffle, le métro arrive. La voix métallique répète qu'il ne faut pas se mettre trop près de la bordure du quai. Tu ne l'entends plus depuis le temps, elle s'installe en bruit de fond, comme un doux refrain continuel. Tu l'entends le matin et le soir. C'est une partie de ta vie cette voix métallique. Les gens se bourrent pour entrer dans le wagon. Tu te fais bousculer de tous les côtés. Personne ne se parle. On se heurte, mais on ne s'excuse pas. On ne laisse même pas sortir les gens qui sont déjà dans le wagon. C'est un peu la ruée vers l'or d'avoir le métro de cette heure-ci, alors les gens n'ont plus aucune civilité. Toi, tu attends. Au pire, si celui-là est trop plein, tu attendras le prochain. Tu as toute la vie devant toi, tu n'es pas à un métro près. Il y en a eu avant et il y en aura d'autre. Mais la foule ne pense pas comme ça. Pour elle, chaque métro est le dernier qu'elle verra dans sa vie. C'est l'ultime chance. Alors ils s'élancent, volant presque et ils se serrent les uns contre les autres dans le wagon, debout pour la plupart, oppressés. Ils ont tous un air morose sur le visage. Il y a encore de la place, tu montes et tu te cales dans un coin, où il y a un peu d'air, ou moins de transpiration, c'est selon. Tu regardes les gens ; c'est amusant à regarder, les gens. Ils font toujours quelque chose de bizarre. Il y a celui qui lit, dans son coin, l'autre qui croit qu'il est tout seul dans la rame et hurle dans son téléphone, celui qui met de la musique tellement fort dans son casque que tout le monde en profite. Il y a celui qui n'a pas eu le temps de prendre son petit déjeuner, la fille qui n'a pas eu le temps de se poudrer, l'homme qui n'a pas eu le temps de jeter un œil au journal. Ils n'ont pas le temps, jamais. Alors ils rattrapent le temps perdu dans le métro, tous ensemble et chacun seul. Personne ne se parle, personne ne se regarde. Toi tu observes. Tu observes que le métro égalise la société parfois. Le pauvre en loques est à côté de l'homme au costard-cravate fraîchement sorti du pressing. Ils se regardent un instant et chacun se renferme dans sa bulle, pour échapper à cette foule dense et compacte qui les empêche de respirer. Ils vivent ensemble mais ne se regardent pas. C'est un peu un monde à lui tout seul le métro. C'est un monde en commun où éclatent des petites bulles d'individualités. Tu portes ton regard sur l'extérieur. Ça va trop vite, il y a trop de bruit. On entend le son des roues qui grincent sur les rails de métal. Certains font la grimace, les oreilles à vif. Toi, tu écoutes. C'est le chant du monde d'en bas à près tout. Il faut bien que le vers creuse son trou. Il fait noir et les néons du métro éclairent faiblement de leur lueur blanchâtre. C'est comme un hôpital, mais en plus petit et plus confiné. Il fait noir comme la nuit. Il fait tout le temps nuit dans le métro. Nuit comme dans un four. On dirait une étoile filante qui s'enfonce dans le cosmos. Mais soudain, la lumière réapparaît. Tu es arrivée au prochain arrêt. Tu ne descends pas encore. Tu vois le même mouvement de foule que tout à l'heure, mais du point de vue interne au wagon. C'est amusant et dangereux à la fois, un peu comme une grande aventure. C'est un peu ça le métro aussi. Un musicien monte. Il y en a un à chaque station. C'est comme ça ; ils se connaissent tous et savent où il faut aller. C'est un cercle très sélect' d'être musicien de métro. Celui-là a un accordéon. Il commence à jouer et, une nouvelle fois, tu te laisses bercer par la musique, qui couvre les insultes et l'indifférence. Les gens s'en fichent du musicien, tout le monde s'en fiche. Il fait partie du quotidien, de la vie. C'est toujours le même. Dans deux cent cinquante ans, peut-être que ce sera encore le même. Ils ont l'air immortel. Il sourit, content d'avoir joué, et repart. Il illumine la rame un instant et le métro redémarre. Bientôt, tu arriveras à ta station. Tu ressentiras le plein air et tu remontera à la surface, allant travailler, visiter, marcher. Tu reviendras à la réalité pour quelques heures, tu oublieras presque ce que tu as vu – ce que tu vois tous les jours – et puis tu reviendras, tu replongeras dans le monde étrange et inquiétant des souterrains, comme tous les jours, comme un vieux refrain lointain, qui flotte dans l'air des bouches du métro.
- ECHO:
Il faut que je me rappelle des bons moments et que j'oublie ceux qui ont été difficiles. C'est ce qu'ils disent, c'est ce qu'ils pensent, et ils ont raison. Alors le matin, je me lève avec le soleil qui me réchauffe le corps, je souris, je fais comme si j'allais bien, je leur fais croire que je suis heureuse. Ils n'y voient que du feu, croyant que je vais mieux, que tout ira bien maintenant, que je peux gérer tout ça, toutes mes émotions, tous mes démons. Mais certains jours, c'est plus difficile que d'autres. Ils me sourient mais ils ne voient pas que je souffre, je suis bonne menteuse, j'arrive bien à cacher cela en moi, ils ne savent pas ou, s'ils le savent, ils ont la décence de ne pas me le dire. Nous jouons aux hypocrites les uns avec les autres, fermant les yeux, comme si nous ne voyions pas le vide sous nos pieds. Parfois, j'ai l'impression d'être un funambule, marchant sur un fil aussi fin qu'un cheveu, au dessus d'un gouffre sans fond, qui menace de m'aspirer. - Ça va, tu es sûre ? me demandent-ils. - Oui, ça va. Je mens bien sûr. Mais eux-mêmes ne me le demandent pas parce qu'ils s'inquiètent vraiment pour moi, c'est une question de politesse. Dire non les agacerait, ils n'ont pas le temps d'écouter mes problèmes, eux aussi ils en ont et ils ne bassinent pas tout le monde avec. La question « ça va » est piège, elle n'attend qu'une seule réponse : oui. C'est ennuyeux les gens qui vont mal, ça dérange, ça pose problème. Alors je fais semblant d'aller bien. J'exécute les mêmes mouvements mécaniques toute la journée, avec bonne humeur, en discutant de tout et de rien, en riant. Mais au fond, le vide ne me quitte pas, je ne ressens rien. Souvent, je me fais la réflexion que je n'ai jamais été qu'une machine de guerre. Je n'ai jamais vraiment montré mes vrais sentiments. Personne ne connaît le silence qui m'envahit, l'obscurité qui me ronge le cœur. Je suis toujours triste, même si je fais mine de ne pas l'être. Je ne fais que détruire ce qui m'entoure, sans savoir recoller les morceaux. Et toute la journée, j'avance mécaniquement, je fais les mêmes gestes que tout le monde, je me fonds dans la masse. J'efface ma douleur et la coince au fond de mon cœur, en attendant. Je ne fais jamais vraiment rien de sincère. Tout est faux dans mes mouvements. Mon sourire est faux, mes paroles sont fausses, ma façon de bouger est fausse. J'imite, j'observe. Les seuls qui pourraient me trahir sont mes yeux, mais je les ai domptés pour qu'ils disent ce que j'ai envie de dire. Je me suis forgé un masque et une armure de glace, pour ne rien montrer de ce qui brûle en moi et me consume. Peut-être que je les sous-estime, peut-être qu'ils savent, au fond, que je leur mens. Le soir, je rentre chez moi, là où personne ne m'attend. J'allume la lumière, mais elle n'arrive pas à percer la noirceur sourde de mon âme. La nuit, alors que je suis sur le point de m'endormir, seule dans ma chambre froide, dans mon immense maison vide, j'attends. J'écoute le silence qui envahit l'espace, j'observe les ombres de la nuit danser sur les murs et engloutir mon monde dans l'obscurité. Alors je ferme les yeux, mais c'est encore pire. Je vois ma vie tomber en morceaux pour ce qui me semble être la millième fois. J'entends les cris, les pleurs, les détonations et puis le silence. Tout devient noir ; je ne vois plus rien, je n'entends plus rien. Et puis les yeux bleus d'Ari me fixent avec cet air accusateur. Ari est le seul qui me comprenne un peu. Lui aussi il a dû combattre ses démons, là-bas, en Afghanistan. Lui aussi il a tout perdu, même son honneur, alors qu'il n'est qu'un enfant. Du haut de ses douze ans, il était plus fort que moi, plus brave que tous les militaires autour de lui. Lui aussi il sait ce que c'est de détruire, mais de ne pas savoir reconstruire. Finalement, il est le seul que j'ai réussi à sauver et je ne l'ai même pas fait pour lui, mais pour moi. Je suis égoïste. J'ai cru être capable de le sortir de l'enfer dans lequel il vivait, au milieu des bombes et des morts, mais tout ce que je voulais, c'était ne plus être seule. Je voulais que quelqu'un écoute. Je voulais montrer que j'étais capable de ne pas briser tout ce qui passait entre mes mains. Je voulais oublier mon propre enfer. J'ai échoué. Aujourd'hui, je ne vais pas mieux qu'il y a trois ans, quand je l'ai ramassé sous les décombres de sa maison alors qu'elle venait de s'effondrer. Aujourd'hui, ma maison est toujours aussi vide, je suis toujours aussi seule. Ben me manque. Il voulait finir de retaper la maison, il voulait qu'on ait des enfants, que je sois heureuse avec lui. J'entends encore sa voix raisonner dans ma tête quand mes yeux sont fermés. Il me dit que tout ira bien, mais je sais qu'il ment ; et pourtant, je ne dis rien, je le laisse partir. Il n'est pas revenu ce jour-là. Je l'ai attendu toute la nuit, debout devant la porte de la caserne, par cette froide nuit d'été, espérant que la lumière des phares de la jeep vienne m'éclairer. Mais il n'est jamais rentré. Les autres sont revenus, eux. Jensen m'a annoncé qu'il avait marché sur une mine, qu'il était mort sur le coup, qu'il n'avait sans doute rien senti. Sans doute. Avait-il pensé à moi au moment où tout s'était arrêté ? - Tout va bien se passer, ne t'inquiètes pas. On sera de retour vers 23h. Je t'aime, princesse. Il m'a laissée seule dans cette maison vide, à ressasser mes vieux souvenirs, à pleurer dans le noir. Il n'a laissé derrière lui que le vide de l'absence et le silence, cet horrible silence qui me déchire le coeur. Ari est parti, lui aussi. Je ne sais pas ce qu'il est devenu, mais ses yeux me hantent toujours. Leurs ombres dansent sur les murs de la chambre, le fantôme de leur souvenir. Je croyais qu'en rentrant en Amérique, tout irait mieux, je pensais qu'avec le temps, la douleur partirait, que je vivrai de nouveau. Mais elle est restée et je ne suis plus qu'un automate. Je n'ai plus goût à rien. Quand j'étais avec Ben, je savais ce que signifiait « être vivant », tout me semblait plus beau, plus lumineux. Mais maintenant, le ciel est gris et le soleil me rend morose. Parfois, je repense au désert du Registan, au sable chaud et au vent du sud. Tout cela me semble si loin et si inatteignable. Finalement, même si nous ne vivions que de peu, survivant dans le sable et nous battant pour nos idéaux, ces années me semblent douces et chatoyantes. C'était magnifique. Nous étions seuls, mais nous étions vivants, ensemble. Aujourd'hui, la tempête du désert que j'étais s'est renfermée derrière son armure de glace. Je ne sais plus ce que c'est d'être sincère, de rire pour de vrai. J'ai peur de montrer ce que je suis devenue aux autres ; si je leur montrais mon cœur abîmé et usé par la vie et les peines, ils ne comprendraient pas, ils seraient sûrement déçus de ce qu'il reste de moi. Ils comprendraient que j'ai menti, que j'ai été hypocrite avec eux ; ils croiraient que je ne leur fais pas confiance, mais c'est faux. J'aimerais pouvoir leur dire que je suis désolée, que ça va aller mieux, pour de vrai, que je vais faire des efforts, que je vais m'en sortir. Mais ma gorge se serre, je ne trouve plus mes mots, les larmes me montent aux yeux. Finalement, je ne dis rien parce que je ne sais pas quoi dire et encore moins comment. Ce n'est pas de leur faute, ils ne me veulent pas de mal, au fond, mais la barrière qu'il y a entre nous s'étend de jour en jour, parce que je suis lâche. Je n'arrive pas à leur dire que j'ai la trouille, que je me sens seule, que j'étouffe, que j'ai besoin d'eux. C'est trop dur, je suis trop faible, mais je dois paraître forte. Paraître, toujours paraître. J'aimerais tellement retrouver cette douce sensation, ce frisson, cette fibre de bonheur, de fraîcheur. Mais je détruis tout ce que je touche, je n'arrive même pas à protéger ceux que j'aime. Je ne suis qu'une ombre, plongée dans le silence.
Voilà, j'espère que vous aurez aimé mon style et que la lecture vous aura été agréable ♥ |
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